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Théâtre d'ombres
Shadow theater
- Group show
Communiqué
Référence à ces spectacles venus d'Orient qui firent autrefois la joie des enfants, l'idée de baptiser Théâtre d'ombres une exposition d'art contemporain relève du défi de mêler rêve et nostalgie, lumière et ombre, mémoire et oubli. "Les ombres ne sont pas ce qu'un vain peuple pense ; c'est le rêve par l'art : un monde, un monde immense" écrivait Robert Hautiez dans un article du journal Ombres et Lumières . Il est bien question ici de suggestion, amenée notamment par l'idée d'obscur ou à tout le moins de non évidence. Théâtre de la suggestion qui n'est pas sans une certaine dimension onirique voire nostalgique : l'ombre laisse place à l'imagination et à l'émotion du spectateur. Cela peut même avoir un effet macabre - l'ombre évoque d'ailleurs l'âme des morts dans la religion chinoise.
On trouve dans les personnages du théâtre d'ombres l'incarnation de la parole, du chant ou du cri. Telle pourrait être l'idée des corps artificiels dans les personnages que Malevich crée pour l'opéra Victoire sur le soleil. Des formes que l'on retrouve dans la peinture du Faucheur dont Sebastian Riemer s'empare, pour le photographier et l'imprimer en négatif, révélant ainsi une matérialité cachée. Le changement des couleurs dû au procédé fait de CTTR l'ombre du Faucheur. Une ombre troublante qui n'est pas vraiment un double mais plutôt une transformation qui relève de la magie d'une radiographie.
Dans les peintures de Karine Hoffman la question de l'ombre est troublante par son origine parfois incertaine, son absence de source créant un temps et un espace ambigus, non dénués de mysticisme. Dans Toy box, l'arrière-plan du tableau plante un décor dans lequel surgit l'ombre mystérieuse d'un résidu de mémoire. La scène se situe entre jour et nuit, entre ici et au-delà, l'ombre apparait comme une tache débordant du noir horizon, elle nous suggère un hors-champ inquiétant amenant le regardeur au-delà de l'oeuvre.
Para ninguem e nada estar #1 est un livre d'artiste où la Brésilienne Leila Danziger rassemble des pages de quotidiens imprimés où le texte journalistique, témoin d'un évènement, se fait présent mais de façon résiduelle. Les pages partiellement effacées par l'action de la lumière sont détournées de leur fonction de document et deviennent comme une peau mince et transparente où l'artiste a tamponné ces vers de Paul Celan extraites de « Stehen » : Für-niemand-und-nichts-Stehen / Tenir-debout-pour-personne-et-pour-rien. Les images devenues épaves deviennent « performeuses » d'idées d'abandon mais aussi de résistance.
Les images nous piègent. Fondés sur la contingence, les intérêts de Slobodan Stosic questionnent la responsabilité d'une image et l'art contemporain comme opportunité spéculative. Son projet The Voice Imitator s'inspire d'idées théoriques formulées par Deleuze dans son essai Bartleby ou la formule et conduit l'artiste serbe à développer un énoncé sur la copie, l'imitation, la représentation et la notion même d'oeuvre d'art. L'idée sous-jacente est inspirée de Felix Guatarri d'un assemblage collectif d'énonciation. Ils sont ici présentés par des dessins sur passepartout, inspirés d'images ou de textes, mais toujours dans une représentation tronquée.
Parfois ce sont des images qui nous piègent dans les medias. Dans la série Otage de Anne Deguelle, le regardeur est « otage » de l'image elle-même. Sa banalité même, l'impression de déjà-vu la rend plausible. Des vues communes d'aéroport évoquent les présentations télévisées commentant une actualité dramatique. L'image pauvre, statique, floue, est le support d'un commentaire tragique mais ne le restitue en rien. On n'y voit rien. Prise d'otages, enlèvement, attentat, violences, le sujet est interchangeable. Rien ne bouge, l'image est en attente de chargement émotionnel et est disponible à tout récit, en latence d'activation comme un prélude au fake ou à une nouvelle fiction.
Mais c'est dans la vidéo Les tours tombent d'Aristide Barraud que se profile un réel qui n'est plus : ombre vivante d'un moment d'histoire d'une cité de banlieue, le projet est le fruit d'une immersion totale de l'artiste dans la vie d'un bâtiment chargé d'histoire, pour raconter le lieu et les hommes qui ont vécu dans la tour B5. Dernier vestige de la cité des Bosquets à Montfermeil (Seine Saint Denis), sa démolition filmée garde la mémoire d'un monde aujourd'hui disparu.
Ainsi en va-t-il des photographies de Yang Yi, prises avant la disparition programmée de sa ville natale par l'ouverture du Barrage des Trois Gorges en Chine. S'y conjuquent passé, présent et avenir d'une civilisation menacée dont il ne subsiste que l'ombre de ces images.