Communiqué
«L’histoire des images est une histoire de fantômes pour les grandes personnes» Aby Warburg (1866 -1929)
Une mystérieuse communauté arpente de grandes salles obscures, aux aguets, à tâtons, à la recherche d’une vision à l’aide de simples lampes de poches. Le lieu, qui n’est autre qu’un musée, est redécouvert dans sa face cachée, comme lieu de hantise, d’invisible et d’inconnu.Alors que ses portes sont fermées et que le réagencement des œuvres s’organise en secret entre deux expositions, ces quelques arpenteurs nocturnes s’introduisent au coeur de ce temps de latence et de sommeil, de ces salles vides et noires qui se transforment en labyrinthe mental collectif.
Pour sa deuxième exposition personnelle à la Galerie Dix9, Marion Tampon-Lajarriette présente ses dernières créations vidéo et photographiques issues de nouvelles approches des problématiques qui lui sont chères ; l’image et les relations qu’entretiennent avec elle la mémoire et le rêve. Les images de la série M o C LT
(acronyme pour un musée imaginaire lié à l’occulte et à l’art moderne) sont issues d’une visite performative faite au Mamco de Genève en janvier 2012, pendant la nuit, en un moment particulier de la vie du musée - une période secrète de montage/ démontage entre deux expositions. Cette visite particulière dans des espaces obscurs et en chantier était menée par Marion Tampon-Lajarriette, soudain guide spectral pour un petit groupe de visiteurs inhabituels. Trois caméras infrarouges ont filmé en continu ce tour nocturne de 50 minutes où l’artiste évoquait certaines œuvres croisées sur le parcours en fonction de leur aspect hanté ou invisible, de leurs liens forts avec le temps et la mémoire. Les photographies de la série M o C LT sont des images étranges captées dans le flux de ces caméras infrarouges : traces ambigües d’un moment lié à l’obscurité, à la défaillance du visible et à la prégnance des fantômes de l’imaginaire collectif.
La série de vidéos Erehwon se situe elle aussi d’une autre façon dans le registre du fantastique ; registre où l’étrangeté se glisse au cœur du réel quotidien. Par le jeu de travellings avant infinis, ces boucles vidéo transportent le spectateur vers des décors qui restent pourtant inatteignables. Ce sont là des paysages au fantastique ambigu où un déplacement paradoxal laisse le spectateur sur place en même temps qu’il le projette vers des décors lointains. Ces images impossibles sont composées à moitié de surfaces parcourues, filmées en numérique, et de décors cinématographiques incrustés au dessus de la ligne d’horizon. Issues d’une part du montage de paysages côtiers filmés aujourd’hui, d’autre part de décors de films fantastiques populaires des années 60, ces images offrent une exploration paradoxale de lieux appartenant à la fois à nulle part et à de nombreux imaginaires : à la fois un « no-where » et un « now-here ».
On retrouve la cohabitation de ces mondes distincts, quotidien et fiction, dans la série de vidéos en boucle Antichthones. Usant de l’ancienne technique cinématographique des années 1930-1960, les personnages sont placés en studio face à un grand écran où est projeté le décor filmé auparavant, le tout étant ensuite re-filmé pour créer l’illusion de la continuité d’un même espace. Ce trucage, ici dévoilé, révèle alors, outre une mise en abîme de la salle noire du cinéma, les mécanismes même d’immersion et de distanciation qui agissent intimement au quotidien dans notre rapport aux images. Les personnages devenus captifs de ces espaces fictionnels bouclés sur eux-mêmes pourraient être nommés comme les habitants de planète ou pôle opposés aux nôtres : les « Antichthones » - habitants de ces mondes antinomiques lointains qui, d’après les théories de l’Antiquité, permettent pourtant l’équilibre indispensable à notre monde.
L’Heure Mystérieuse, à travers ses multiples facettes, marque une nouvelle étape dans le travail de Marion Tampon-Lajarriette qui explore l’image et son pouvoir de hantise sur le réel.