Communiqué
Pour sa troisième exposition personnelle à la Galerie Dix9, Karine Hoffman poursuit sa quête spirituelle en puisant dans "La fin de Satan", immense poème épique de Victor Hugo. "Avait pris les étoiles" ou "De nouveaux jours brillaient", ces bribes de texte devenus titres de plusieurs peintures, en sont l'expression la plus manifeste. Mais si le titre peut donner une piste de lecture, le mystèrieux demeure dans chacune des toiles.
Chaque peinture de Karine Hoffman constitue une énigme dont personne n'aura réellement la clé. Dans ces huis-clos à ciel ouvert dont elle a le secret, l'oeil et l'esprit se déplacent, se heurtent aux objets, cherchent dans le clair-obscur une sortie qui au fond n'existe pas. En ces lieux jamais nommés, en cette maison imaginaire sans cesse re-visitée par l'artiste, les murs et les sols se dérobent, les portes et les fenêtres s'escamotent, se font intérieures. Le dehors et le dedans s'interpénètrent, se disputent l'espace pictural rendant instable notre vision, caduques nos certitudes quant à la nature exacte des drames qui s'y jouent. Car c'est une peinture introspective, faite d'ellipses, de mémoire sélective, de chaînons manquants.
On pourrait dire que l'oeuvre de Karine Hoffman compose avec les soubresauts de l'histoire. Une histoire très chargée, celle de l'Europe, de ses guerres et de ses arts au goût funeste, à laquelle se mêle la sienne. Ses références sont précises, nourries autant par la littérature slave, le cinéma d'art et d'essai que par les peintures noires à la Goya ou au Caravage. Son héritage assumé au point de pouvoir y injecter un second degré, une incongruité toute subjective.
Dans ses dernières toiles, la peinture semble gagner en instabilité, le geste en amplitude à mesure que les sols penchent. En certains endroits l'artiste ose l'inachevé, elle reste vague. Elle épure tout en brouillant et en noyant davantage. L'étau se resserre autour de certaines obsessions crépusculaires et de certains objets de prédilection. Des objets spéculatifs, domestiques et perfides à souhait, comme la baignoire ou le lit. Ils sont ses compagnons de route. Elle les entraîne à présent dans une chute sensuelle mais certaine. Et c'est comme si tous les éléments du décor résistaient encore un peu en silence à ce glissement de terrain inéluctable, à ce phénomène presque goyesque d'avalement. En dernier recours, les objets s'accrochent, s'arriment. Ainsi le vieux fauteuil se retrouve soclé à une tablette volante dans la toile intitulée "Avait pris les étoiles" ; dans "De nouveaux jours brillaient" la baignoire emplie à ras bord pèse de tout son poids. Les objets ont une âme et ils risquent de nous survivre. Karine Hoffman le sait qui s'obstine à les muer en personnages et à leur donner un timbre de voix par le truchement de ses titres.
Le jaune se fait tour à tour chez elle feu, coucher de soleil, lueur sacrée, électricité, chaleur humaine, bombe atomique. Il donne le ton. Dans "Le douzième jour" il embrase les volutes lascives et nous subjugue, ailleurs il se fait acidulé ou flavescent. Toujours, il est question d'un embrasement, de flammes, de flammèches à éteindre - ou pas - dans la noirceur rassurante de ce monde.
Chez elle le bois se fait tout à la fois arbre, charpente, chevalet, potence. Il se consume ou il pourrit. De flaques d?eau en tapis de cendres, au bord des catastrophes, Karine Hoffman choisit de peindre des renaissances.
Ce travail complexe et elliptique est patent dans ses petits formats et peintures sur papier. C'est aussi que l'artiste travaille à l'envers des choses. Car ce ne sont pas là des esquisses mais des oeuvres peintes "après", tels des résidus précieux où Karine Hoffman traduit la gestuelle des grands formats. Tout chez cette peintre produit une oeuvre singulière qui ne cesse de questionner l?essence de la peinture.