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Mémoires de livre
Book memories
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Communiqué
Objet culturel lié à l'histoire humaine, le livre est pour son lecteur une extension de la mémoire et de l'imagination. Support du texte et de l'écriture, il reste un élément vivant de la civilisation que même la révolution numérique ne saurait totalement éradiquer. Le Livre avec un grand « l » est ainsi le fondement des grandes religions monothéistes (La Bible ou Le Coran) tout comme il est devenu celui de certains régimes politiques (tel le Petit livre rouge de Mao). Par extension le livre peut s'entendre du journal intime, carnet de notes, livre de bord, voire du simple journal d'actualités.
Il n'est pas étonnant dès lors que nombre d'artistes se soient approprié le livre sous les formes les plus diverses. Sans même parler du livre d'artiste dont la force d'expression revêt de multiples propositions esthétiques, le livre et ses pages deviennent matière à penser, qu'il s'agisse de l'objet livre ou du livre support de sens et de message.
Paradoxalement cette réactivation du livre produit des objets que l'art fige et qui s'avèrent parfois inexplorables puisqu'il est impossible de lire toutes les pages, voire une seule page, ni même de les toucher. Cas extrême dans les livres cousus de Sheila Concari.
Manifeste de la culture, le livre devient objet archéologique dans sa traduction en terre cuite par Paula de Solminihac. Papyrus, plié, ouvert ou fermé, il laisse apparaitre les pages qui constituent son essence. La magie du matériau cuit au feu laisse deviner son apparentement au cuir ou au textile dont le livre a parfois été constitué. Les pages sont vierges comme le sont les Ardoises de Mehdi-Georges Lahlou qui a volontairement effacé les versets du Coran qui étaient recopiés sur ces tablettes de bois de cèdre dans les écoles coraniques.
C'est sur le texte du livre que se porte le travail de Nemanja Nikolic, travail qui témoigne de l'histoire d'une génération dont l'enfance a été marquée par des évènements historiques tumultueux et la fin dramatique de la Yougoslavie.
Panic Book est à la fois un ensemble de dessins et son aboutissement en une vidéo d'animation. Les dessins ont pour support des pages de livres provenant souvent de la bibliothèque familiale, qui traitent de la pensée politique et philosophique du socialisme yougoslave. Les pages deviennent alors le cadre d'une reconstruction de séquences cultes de films d'Hitchcock : scènes de panique, fuite, persécution, peur.. Cette relecture du socialisme de Tito est ainsi rapprochée des mécanismes de mise sous tension et d'annonce de catastrophes utilisés par le maître du suspens.
Questionnant les notions de pouvoir et de croyance par des détournements insolites, Marie Aerts revisite Les Béatitudes de la Bible. En référence au prosélytisme de l'Eglise, l'artiste s'exprime par la taille douce et les caractères gothiques des moines qui recopiaient les textes religieux.
Mais les sentences sont gravées sans encre sur fond blanc. Cette apparente pureté cache une parole accablante où les inégalités sont dépeintes sans blâmer ni les causes ni les coupables.
Fruit d'un atelier avec des artistes et des élèves d'un collège agricole, le Monument à Georges Pérec entrepris par Anne Deguelle est un livre manifeste sur la disparition annoncée de l'écriture manuscrite. Cet acte collectif, où la totalité de La disparition est retranscrite, crée une oeuvre où vernaculaire et geste artistique s'hybrident et fusionnent en un bel impur. C'est aussi l'écriture manuscrite qu'analyse Sophia Pompéry dans son projet Und Punkt. Ce livre de points recense le point final original de la première édition de quinze histoires d'amour écrites par un auteur allemand au cours des trois derniers siècles et conservés à la Bibliothèque Nationale de Berlin. Il commence par le point final de Goethe dans Les Souffrances du Jeune Werther.
Les carnets de Paula de Solminihac, sorte de livre intime et de carte mentale, deviennent eux-mêmes objet des investigations de l'artiste. Dans ce travail axé sur la mémoire qui devient archéologie personnelle, elle emploie certains principes de Frances Yates pour lier les apparences extérieures à la dimension subjective des images imprimées dans l'esprit de celui qui se souvient. En contournant les espaces libres de son journal, l?artiste crée un registre indicatif de l'absent tout en laissant imaginer une histoire jusque là cachée. Ailleurs elle utilise le papier de son journal pour créer des oeuvres qui s'apparentent au dessin et témoignent de son univers intime. Ou pour les transformer en cascaras, sorte de coquilles qu'elle assemble en un collier qui symbolise cette alchimie de transformer l'inutile en utile. Elle s'empare aussi de feuilles de journaux pour traduire la mémoire d'un immense lotus d'Amazonie (Victoria).
Des oeuvres manifestes à la mémoire du livre, lui-même objet de mémoire.
Comme une ode à la magie de la page.