"La formation de l'image photographique dans l'art de Sebastian Riemer"
Par Heinz-Norbert Jocks (critique d'art)
C'est avec le regard analytique d'un chercheur obsessionnel que Sebastian Riemer s'immerge dans l?essence même de la photographie. Questionnant la vérité du medium , l'artiste emprunte allégrement les chemins du doute. De là il recherche les possibilités d'une nouvelle composition picturale. Mais, bien que l'on y reconnaisse une technique photographique, étrangement son travail ne ressemble pas à de la photographie.
Tout est parfaitement reconnaissable, mais nous laisse pourtant perplexe. Que voyons-nous? D'où cela vient-il ? À quoi cela sert-il ? Comme par exemple, lorsqu'il capture les grilles métalliques de différents haut-parleurs, tout est là, au bon endroit. Et pourtant, nous butons sur la manière de les définir. La surface uniformément couverte de points à la manière all-over ne nous permet pas d'affirmer qu'il s'agisse de trous, elle nous apparaît comme une surface parfaite.
Tout est si plan, que toute suggestion d'espace disparaît, et tout est si abstrait que nous ne pouvons pas immédiatement classer l'image dans le monde des choses identifiables. C'est comme si le photographe s'était perdu dans la signification des choses pour aboutir à une image pure, une image en soi, en atteignant le point originel de la vision. On est alors loin de la dénomination fonctionnelle de la réalité-quotidienne.
Dans le cas de "Grundig" (2010), tout se focalise sur le centre du couvercle du haut-parleur. De là, la lumière semble venir d'un phare. On voit par endroits des traces d'utilisation. Ce sont en fait des traces de vieillissement qui donnent un air de singularité à des produits de série. Riemer est un artiste qui valorise la rencontre du regard sur le monde au travers d'un dispositif technique, celui d'un appareil photo, parce que cela crée une distance inéluctable. Lors de ses recherches d'image, il ne photographie pas seulement des objets, il utilise aussi des photographies anonymes qu'il trouve sur les marchés aux puces ou dans des archives. Il est important pour lui de remonter directement à la source, plutôt que de s'appuyer sur des intermédiaires numériques ou de dépendre d'eux. Il y a là quelque chose qui lui parle, quelque chose qui défie son regard. Un jour, par hasard, il a découvert des photos de presse qui avaient été retouchées; depuis, il poursuit scrupuleusement cette recherche. Il en modifie le format de sorte que les personnes sur la photo apparaissent en taille réelle à nous, spectateurs. Et déjà, par le seul fait du changement des proportions, notre perception se modifie. Mais avant tout, ce qui devient visible, ce sont les minuscules retouches sur l'image, devenues quasi imperceptibles une fois reproduites dans la presse - des retouches faites dans le but d'obtenir une image ou un cliché qui trompe le spectateur.
Les petites interventions au pinceau apparaissent soudainement aussi exaltantes que la peinture, comme si la photographie et les retouches étaient examinées à la loupe. Avec pour conséquence qu'on ne peut plus dissocier ce qui apparait maintenant comme peint, et ce qui relève de la photographie. Les deux interfèrent l'un dans l'autre comme si la photographie était de la peinture et la peinture une photographie.
En rendant visibles d'imperceptibles traces grâce au procédé de l'agrandissement, Riemer les place au cour même de l'image. En fait, l'artiste transcende la photographie initiale, en révélant, comme un magicien, ce qui était caché sous le voile, et en nous le présentant comme une partie intégrante de l'image. Ce faisant, l'importance du sujet devient secondaire, l'esthétisme passe au premier plan. En outre, grâce au tirage en noir et blanc - afin d'effacer l'aspect sépia de l'image - la photographie trouvée perd son statut d'antiquité.
Sortie du contexte de la presse, qui donne un sens à l'image en fonction de ses besoins d'illustration, la photographie, sous la houlette de Sébastien Riemer, est privée de son interprétation. C'est par cette perte que l'image s'enrichit autrement, par l'universalité, l'autonomie esthétique et l'intemporalité.
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