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From Davos with Love !
curator Théo-Mario Coppola
Communiqué
Conversation entre Théo-Mario Coppola et Romain Mader
Cet entretien a eu lieu au Schatzalp, Davos, Suisse le 12 janvier 2018
Romain Mader : Tu connaissais bien Davos toi avant ce voyage, toi?
Théo-Mario Coppola : Tu sais, quand je suis arrivé à Davos la première fois, j’étais très jeune et je n’avais alors aucune idée que l’histoire de la Suisse avait été aussi fortement présente ici, au sommet de ces montages. A l’époque, les plaines et les étendues blanches n’évoquaient que la simple magie de l’isolement et de la pureté. J’ai ensuite découvert en littérature une réalité plus palpable que celle que je croyais atteindre en dévalant les pistes…comme dans La Montagne Magique de Thomas Mann.
Romain Mader : J’adore ce livre de Mann ! Hans Castorp et ses nouveaux amis, le voyage, l’inatteignable, la neige.
Théo-Mario Coppola : Les aspirations et les angoisses, les doutes et les désirs de son protagoniste Hans Castorp sont très heurtés. Et que dire de cette galerie de personnages truculents ! Chacun tient son rôle et impose sa personnalité avec tout le charisme et la grâce de la belle société de l’époque – tout ça dans les draps blancs de la maladie et les nappes immaculées d’une mondanité de sanatorium.
Romain Mader : Je ne me souviens plus quand était la première fois. Quand je suis venu te chercher tout à l’heure à la gare, j’ai eu l’impression de retrouver un vieux cousin perdu de vue et je me suis rappelé de tous ces petits détails quotidiens qui parlent de la vie à Davos.
Théo-Mario Coppola : Finalement, on ne quitte jamais totalement Davos.
Romain Mader : Je sais, je garde en moi le souvenir d’une impression tellement agréable la première fois, cotonneuse même. Il y avait là ce sentiment de retrait, de soustraction au monde qui donne la noblesse de la mélancolie. J’imagine que c’est aussi ce qu’ont dû ressentir les personnages dont parle Thomas Mann.
Théo-Mario Coppola : La MittelEuropa ?
Romain Mader : Ces sommets-là n’ont plus rien à voir avec la MittelEuropa, ils deviennent des enclaves…à une telle hauteur, en Suisse en plus ! Les quelques âmes qui réussissent à rejoindre ces hauteurs sont ici parce qu’elles sont des prophètes, des poètes, des porte-paroles. Comme des esprits qui veulent dire quelque chose de leur monde pendant que celui-ci s’écrase dans l’indifférence plus bas.
Théo-Mario Coppola : Le plus grave dans cette affaire, c’est l’emprise du Sanatorium. Nous sommes, maintenant dans un hôtel de luxe mais à l’époque, il s’agissait bien d’un sanatorium, un établissement censé soigner les malades de la tuberculose. Et pourtant l’ambiance semble ne pas avoir changé. La grande salle à manger est pleine toutes les trois heures. Les convives semblent toujours aussi angoissés, comme au bord du précipice et personne ne semble croire que la mort ou l’éloignement soient possible. Je crois que nous risquons nous aussi, comme Hans Castorp, de rester bloqués ici.
Romain Mader : Je ne pense pas qu’Hans Castorp ait eu peur. Il était plutôt heureux d’appartenir à cette nouvelle communauté, tu ne penses pas ? Avec la belle Chauchat et le savant Settembrini ! Non, nous n’allons pas rester ici. Nous allons repartir. Et puis, il y a l’exposition à Paris. On ne peut pas s’installer à Davos !
Théo-Mario Coppola : On pourrait peut-être écrire à nos amis à Paris, pour leur dire que l’on ne pourra pas redescendre, qu’on est bloqué, que le Sanatorium est plus fort que nous. Que l’exposition peut s’organiser depuis les montages.
Romain Mader : Que le Sanatorium n’existe plus aussi ! Mais de toute façon, ce qui n’existe plus est toujours plus fort que nous.
Théo-Mario Coppola : Tu veux dire que la mémoire est hantée ? Que nous sommes habités par les absents ?
Romain Mader : Je crois que non. Mais ce qui a disparu mérite d’être recherché, d’être invité parfois.
Théo-Mario Coppola : Quand tu es allé au salon de l’automobile, qu’avais-tu perdu ?
Romain Mader : Je cherchais l’amour, l’amitié peut-être, une femme aussi. Elles étaient belles ces femmes, heureuses d’être là. On se prenait en photo. Elles ont été accueillantes.
Théo-Mario Coppola : Quand tu es parti en Ukraine, qu’avais-tu perdu ?
Romain Mader : Je cherchais l’amour, je voulais rencontrer une femme. La-bas, les femmes étaient belles, blondes, grandes. Et puis, j’ai rencontré les Femen aussi, j’ai appris à aimer autrement.
Théo-Mario Coppola : Quand tu es allé rencontrer ces inconnus à la plage, qu’avais-tu perdu ?
Romain Mader : Je cherchais l’amitié, l’amour peut-être. J’avais de nouveaux amis. Le contact est tout de suite passé. C’était comme à Davos, c’était comme Hans Castorp au sanatorium. Tu t’assieds, tu attends. Quelqu’un veut parler et te parle. Tu commences à répondre. Tu es inquiet. Tu as les mains moites mais c’est agréable. Tu t’approches pour mieux entendre. C’est aussi du body language. Tout ça, c’est ce qui nous relie. Sur la plage, je me sentais en communion, en lien avec une nouvelle communauté.
Théo-Mario Coppola : Est-ce qu’on irait dîner ?
Romain Mader : Oui, regarde qui arrive, c’est Hans !